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13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 13:22
Accueil du site > Réflexions > QUAND LA FRANCE DECOUVRE LE MONDE... CHEZ ELLE.
QUAND LA FRANCE DECOUVRE LE MONDE... CHEZ ELLE.

Article d’abord paru sur Mediapart.fr le 1er mai dernier.

mardi 6 mai 2008, par gwen

Quel est le pays le plus universel au monde ? La France ? Si l’on en juge par la capacité à généraliser au reste de la planète un mode de vie homogène, les uns désigneront en premier lieu les Etats-Unis d’Amérique mais si l’on s’attarde à regarder derrière le système des objets de consommation, le label "Made in" semble dorénavant placer la Chine en tête de peloton. Aussi, l’Angleterre pourrait tout autant revendiquer ce « leadership », elle qui imposa depuis le XVIIIème siècle la puissance de sa marine sur tous les continents et a su noyer derrière la « novlangue » globalisatrice une tradition hégémonique basée sur la libre circulation des capitaux définie comme « Commonwealth ».

Voir l’article original ici

Chercher à définir le pays le plus universel au monde, ce serait d’abord observer lequel impose le mieux son hégémonie à un moment historique donné. Nous serions ainsi confinés à réduire la « prétention universaliste » à une domination voilée par les acteurs eux-mêmes, les discours idéologiques ou les structures impérialistes qui sous-tendent l’architecture mondiale. Les guerres anti-coloniales du XXème siècle ont de fait révélé au grand jour la tartufferie des illusions civilisatrices portées par des métropoles qui ont d’abord utilisé leurs colonies comme des comptoirs à leur service. Mais les post-colonial studies apparues dans le monde anglo-saxon puis réappropriées chez les « subalternes » en Inde, en Afrique, en Amérique latine et ailleurs ont complexifié l’analyse depuis une trentaine d’années en montrant les interactions réciproques entre nord et sud, entre centre et périphérie, dominants et dominés. Sans pour autant nier la domination originelle de l’Occident sur le reste du monde, ces études novatrices ont cherché à observer comment les jeux de domination se recréaient au niveau local et sur tous les points de la planète dans un mouvement qu’il est de coutume d’appeler ici « mondialisation ».

L’universalisme s’identifierait alors à la découverte contemporaine de l’idée même de « Monde » (O. Dollfus) grâce aux nouveaux outils de communication, matériels et immatériels, et à la généralisation des échanges à l’heure de l’abolition des distances. Le Monde est désormais interconnecté 24/24 et à la seconde près grâce à la fibre optique. Nous communiquons à la vitesse de la lumière mais qu’en est-il alors « des » Lumières et de leur universalisme idéal ? Devons-nous abdiquer après avoir déconstruit le socle d’un universalisme porté la Bible à la main ou la Raison biopolitique en tête ? Et que dire de la démocratie universelle que l’Amérique veut vendre au reste du monde avec des chars ?

La science historique conserve bon an, mal an l’ambition de construire une « Histoire universelle » comme une encyclopédie a l’idéal de contenir la connaissance finie du monde. Mais avec Wikipédia, nous voyons que plus nous cherchons à fermer le savoir, plus celui-ci s’étale, se disperse, se contredit, s’annihile. La mondialisation vue depuis l’Amérique latine n’est pas du tout ce processus homogénéisant lancé au XIXème par un capitalisme impérialiste ; pour les Boliviens, le monde est apparu au XVIème siècle quand les colons espagnols ont extrait des mines du Potosi de quoi nourrir l’appétit gargantuesque d’une Europe renaissante. Pour les Chinois, ce sont les Guerres de l’Opium qui ont révélé au XIXème la fragilité de l’Empire éternel. En ce qui concerne les Arabes, nous savons le choc que fut l’invasion de l’Egypte par les troupes napoléoniennes et la relance de l’Ijtihâd, cette volonté de réforme des croyances collectives et des institutions publiques. L’envers de l’universalisme occidental se retrouverait alors dans une « vision des vaincus » (Nathan Wachtel) enfouie sous les décombres de l’envahisseur.

Une autre manière de « retrouver » l’universalisme perdu serait d’interroger les dynamiques fusionnelles à l’intérieur des différentes rencontres inter-civilisationnelles, aussi guerrières fussent-elles. Le Brésil ou le Mexique sont ainsi à la pointe de la recherche sur « l’hybridité culturelle » dont un autre chercheur français a décrit le fonctionnement sous l’appellation de « pensée métisse » (Serge Gruzinski). Ces aires culturelles à la confluence de plusieurs continents font apparaître un universalisme des corps dans la fête, la littérature, le cinéma, etc, formant ce que l’anthropologue Michel Agier a appelé la « figure d’Arlequin », l’homme aux mille étoffes.

Peut-être est-ce tout cela à la fois, l’universalisme. Derrida restait passionné dans ses dernières interventions par la puissance de l’Un judéo-chrétien. Le mythe monothéiste aurait permis de concevoir l’Humanité une et indivisible. Mais comment séparer le discours des structures qui l’encadrent ? La religion mosaïque a clos l’humain à un seul peuple, élu parmi tous et le christianisme ne s’est-il pas appuyé sur la distinction gréco-romaine civilisé/barbare pour construire sa communauté de fidèles ? Il semblerait alors que dès qu’apparaît l’image de l’universalité se cache derrière elle la voix du maître, l’universalisme hégémonique. De même, derrière l’humanisme conquérant, Michel Foucault a dénoncé cet Homme affreux que seuls des « dispositifs » discursifs faisaient exister.

Pour revenir à nos « moutons » français, l’Hexagone se vante depuis sa Révolution de porter aux quatre coins du monde l’universalité des Droits de l’Homme. « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit et en dignité », affirme l’article que la terre entière considère maintenant comme loi universelle. L’universalisme « à la française » ne pourrait alors exister que par un Etat de droit qui permette la possibilité de vivre chacun en toute « liberté, égalité, fraternité ». Mais c’est là que le bât blesse, l’homme libre chez Rousseau devrait abdiquer sa souveraineté au nom de la « Volonté générale », incarnation suprême de la bonté universelle. Nous ne serions reconnus « hommes » que par la Loi, aussi impérieuse qu’anonyme, et nous savons maintenant que celle-ci est toujours faite par, et au service de, quelques-uns.

Un chaman m’a dit un jour au bord du Lac Titicaca qu’il ne pourrait jamais nier mon humanité, même si ma peau est différente, parce qu’il sait que, bien que je puisse venir de l’Autre monde, nous parcourons toujours la même terre, la Pachamama. Il serait peut-être bon en France que nous nous souvenions de la matérialité du Monde. Notre rapport à la terre reste métaphysique, enfermés que nous sommes dans une langue aussi riche que singulière. Nous avons vogué depuis Saint-Malo sur toutes les mers, arpenté tous les continents, cherché en Amazonie la « pensée sauvage », porté au bout du fusil les idéaux universalistes jusqu’à la fière Russie, enseigné la Civilisation aux nègres, nous n’y avons découvert que de l’Autre. Pourtant le jeune Rimbaud nous avait prévenus : « Je est un autre ».

Nous avons découvert le monde "chez les autres" sans reconnaître qu’ils nous avaient "reçus" ; "chacun chez soi", répond alors, grégaire, la vox populi. On met le mot de "repentance" face à l’Autre pour ne pas parler d’Histoire commune. En réalité, l’universalisme des Lumières a paradoxalement brillé de tous ses éclats pour la première fois à Saint-Domingue quand Toussaint Louverture et ses frères ont pris à leur compte les mots d’ordre qui jaillissaient à la Bastille. Et l’élan bolivarien qui a guidé les indépendances latino-américaines s’est aussi fait au son de la Marseillaise ; tout comme à Alger, en Indochine et ailleurs, les révolutionnaires avaient été formés au Quartier latin. Oui, la France est le pays de l’Universalisme, quand elle est une Idée et non une « identité ». Nous avons finalement découvert le Monde chez l’Autre, il serait temps que nous comprenions les autres mondes réels - et pas seulement "possibles" - chez nous maintenant ; n’est-ce pas M. Sarkozy, le Hongrois de l’Elysée.

Gwénael Glatre

P.S. : Peinture photographiée en 2004 à Cochabamba, Bolivie. Sur le modèle de "La Liberté guidant le Peuple" d’Eugène Delacroix ; à gauche, l’ancien Président bolivien, Carlos Mesa Gisbert. Artiste inconnu. Ce tableau fait la Une de mon mémoire de Master d’Histoire intitulé "Fête et Archéologie de l’Imaginaire en Bolivie", Université Rennes II, 2007.

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