Ils se cachent depuis 22 ans de la police anti-terroriste. Sonja Suder et Christian Gauger parlent de la vie dans la clandestinité et de ce que l’on ressent lorsque l’on est découverts.
Auteur : Andreas Fanizadeh
Tu regardes toujours s’il y a quelqu’un derrière toi
TAZ : Quand avez-vous remarqué pour la première fois que vous étiez suivis ?
Sonja Suder : C’était en été 1978. Nous étions de retour à Francfort après des vacances dans le sud de la France. Nous sommes partis le matin à 6h00 pour aller monter notre stand au marché aux puces, sur les quais au bord du Main.
TAZ : Et là vous avez remarqué que vous étiez suivis ?
Sonja Suder : Le matin à six heures, c’est facile de voir quelqu’un, qui te suit de la porte de ta maison jusqu’au marché aux puces, et qui, arrivé là-bas, ne monte pas de stand. On a vérifié l’après-midi, et c’était clair, on était surveillés. Une chaude journée d’été s’annonçait sur Francfort. C’était en août, je crois. Nous devions prendre une décision.
TAZ : Pourquoi ?
Ah ! C’étaient des temps difficiles. C’était un an après l’enlèvement de Schleyer et les morts de Stammheim. Nous avons décidé de partir.
1978
Qui se souvient de 1978, l'année où Sonja Suder et Christian Gauger disparurent, et restèrent introuvables les 22 années qui suivirent ? L’année où l’Argentine gagna la coupe du monde ou l’année qui vit la naissance de l’actuelle vice-présidente du parti “Die Linke”, Katja Kipping. L’Allemagne de l’Est existait encore, et l'Europe de l’Ouest se trouvait encore dans la période post 68. Au Nicaragua, les sandinistes envahissaient le Palais national, et en Italie les BR assassinaient le démocrate-chrétien Aldo Moro.
Lorsque la charge explosa à l’improviste …
Cette même année 1978, au mois de juin, en République Fédérale, une connaissance - selon le Procureur - de Sonja Suder et Christian Gauger, se préparait à poser une bombe au consulat d’Argentine à Munich. Il s’appelait Hermann Feiling, et aurait fait partie comme Sonja Suder et Christian Gauger des milieux proches des Cellules Révolutionnaires. Les RZ étaient difficiles à cerner pour les services de la Sécurité de l’Etat, car depuis leur scission en 1976/77, elles agissaient sans “revendication identifiable “ Le groupe privilégiait les attaques causant des dégâts matériels et essayait contrairement à la RAF d'éviter les victimes.
Selon le Ministère public, aujourd’hui, Sonja Suder et Christian Gauger auraient participé à deux attaques contre des entreprises faisant commerce d’uranium avec l'Afrique du sud, et à un incendie criminel contre le château d'Heidelberg en 1978. C’est pourquoi, le 15 septembre 1978, un juge fédéral émettait un mandat d’arrêt contre les deux militants.
Si Gauger, Suder et Feiling se connaissaient vraiment comme le pensait le ministère public, ils devaient sans aucun doute partager l’idée en 1978 que l’Argentine était un Etat de “non-droit”. En 1976, un putsch militaire avait eu lieu en Argentine, faisant plus de 30 000 morts. Et, c’est dans ce contexte qu’eut lieu dans des conditions scandaleuses la coupe du monde de football. La coalition socio-libérale de Bonn acceptait que les entreprises allemandes commercent avec la dictature argentine, alors qu’elle n’aidait que timidement les citoyens allemands soumis à la torture dans ce pays. Même s’il furent peu nombreux, ceux qui, comme Hermann Feiling, tentèrent pour cela de poser une bombe contre le Consulat d’Argentine, les raisons n’en étaient pas moins nombreuses et sérieuses pour un tel acte. L’attentat n’eut jamais lieu. Pour Hermann Feiling, “relation” supposée de Suder et Gauger, la préparation de cette action fut fatale. La charge explosa en avance, le 23 juin à Heidelberg. Feiling perdit ses deux jambes et ses yeux.
Gravement blessé, il fut manifestement interrogé par les enquêteurs, alors qu’il était encore à la clinique universitaire d’Heidelberg. D'après ses amis et avocats, il fut isolé pendant des semaines et des mois, afin de tenter de lui soutirer des informations, sur l’organisation des cellules révolutionnaires et sur Suder et Gauger. Les enquêteurs consignèrent les déclarations de Feiling qu’ils auraient recueillies lors de ces interrogatoires, alors qu’il était sous traitement pharmaceutique et sans assistance juridique de son choix, déclarations qu’il contestera plus tard,.
Quelques semaines après l’accident de Feiling, Suder et Gauger repérèrent les équipes de surveillance à Francfort et décidèrent de s’y soustraire. Depuis, ils auraient habité quelque part à l’étranger, et n’auraient plus été actifs au sein des Cellules Révolutionnaires – si tant est qu’ils ne l’aient jamais été.
Comme le confirme le Procureur de Francfort à la suite du dépôt d’une requête, les soupçons contre Suder et Gauger « s’appuient essentiellement sur les déclarations du témoin Feiling en 1978”. Ce n’est qu’en 1999, selon les autorités que s’ajouta contre Sonja Suder un nouveau chef d’inculpation : participation à la prise d'otages du siège de l'OPEP à Vienne et complicité dans une tentative d’assassinat.
Les délais de prescription pour les faits qui étaient reprochés originellement à Suder et Gauger sont de 20 ans. La prescription arrivait donc à son terme en 1998. Mais, d’après le procureur, cette prescription « a été interrompue à multiples reprises » et « les délais pouvaient être prolongés au maximum au double de la période prévue originellement, soit 40 années ». Un incendie volontaire commis en 1978 (prescription 10 ans) peut être requalifié en incendie volontaire mettant en danger la vie d’autrui (prescription 20 ans), prescription qui peut elle-même s’étendre à 40 ans.
En 2000 survient la découverte et l’arrestation spectaculaire des deux ”retraités des RZ” (comme on les a appelés à Paris). Depuis, les administrations française et allemande bataillent ferme autour de Suder et Gauger. En 2001, la France rejette la demande d’extradition. Cependant, la nouvelle loi européenne sur la détention (EU-Haftbefehl), pourrait se retourner contre les deux “gauchistes septuagénaires”. Pour l’heure, l’affaire est entre les mains de la justice française. Personne ne sait si la France acceptera l’extradition.
2010.
Paris, St Denis, à côté de l’Université Paris 8. Sur de petits terrains, des petites maisons, au loin, en arrière plan se profilent des gratte-ciels. Journée froide et humide, presque personne dans les rues. Dans une de ces petites maisons, ou plus exactement dans une minuscule partie d’une de ces petites maison vivent Sonja Suder et Christian Gauger depuis leur arrestation. Sonja Suder est âgée de 77 ans et Christian Gauger de 68 ans. Ils formaient déjà un couple avant leur cavale en 1978. C’est la première fois qu’ils parlent avec des journalistes allemands. Pour la discussion, il y a du thé et des gâteaux, le studio ne fait pas 16 m2.
Passée dans la clandestinité juste avant son diplôme.
Deux décennies plus tard, que ressent-on, quand on s’est attaqué à des entreprises qui commerçaient avec le régime d’apartheid de l’Afrique de Sud, que l’on a disparu et vécu dans la clandestinité en France, pour finalement être découvert et arrêté ? Suder et Gauger sourient. Ils n’aborderont pas ces thèmes. Ils n’ont accepté cette interview avec le Taz qu’à la condition de ne pas avoir à répondre à des questions qui pourraient avoir une importance sur le plan juridique par rapport aux procédures entamées contre eux. Ils ne diront pas s’ils ont des responsabilités par rapport aux faits qui leur sont reprochés, et dans ce cas, lesquelles.
TAZ : Depuis quand vivez vous en exil ?
Sonja Suder : Depuis 1978
Vous avez auparavant vécu à Francfort ?
Suder : Oui, j’ai fait médecine. Quand nous sommes partis, j’avais presque fini.
TAZ :Quel âge aviez-vous alors ?
Suder : J’avais à peu près 45 ans
TAZ :Et vous M. Gauger ?
J’ai aussi vécu à Francfort. J’avais un diplôme en psychologie et travaillais avec des pédagogues spécialisés à l’université.
TAZ :En tant que chercheur ?
Non, en tant « qu’employé de recherche », ça s’appelait comme ça à l’époque.
Gauger examine le journaliste, il sirote sa tasse de thé, il boit comme Suder de la tisane aux herbes, il est concentré, calme. Ses cheveux blancs sont noués en arrière, le visage est encadré d’une barbe poivre et sel. Avec sa chemise à fleur, et son léger accent de l’Hesse, il pourrait sortir tout droit d’une boutique d’antiquaire de Frankfort-Bockenheim. Sonja Suder conduit la discussion, ses 77 ans, on ne les remarque pas. C’est une personne, alerte, pleine de vie, spontanée avec une voix décidée, elle s’habille de manière sportive et en noir, elle a les cheveux courts et foncés.
La chambre à St Denis est meublée de vieux meubles en bois de récupération, agréable et discrète, une chambre comme on en voit dans les communautés alternatives. L’anti-consumérisme semble être une idéologie bien pratique pour la vie spartiate de clandestins, sans retraites ni revenus fixes. À côté des livres, d'innombrables porte-couteaux, on utilise volontiers les porte-couteaux en France pour ne pas salir la table entre les plats. Ils sont en porcelaine, en métal, de différents matériaux, simples ou finement ouvragés. Tout homme a un hobby et la collection de porte-couteaux est celui de Christian Gauger. Il parle lentement, d’un ton presque traînant. En 1997 il a eu une infarctus et est tombé dans le coma.
TAZ : Comment était la situation quand vous avez été arrêtés en 2000?
Suder: Nous étions à ce moment-là, à Paris, et nous sortions de l’hôtel quand ils nous ont arrêtés. Tout est allé très vite, mains en l’air, et bras et visage contre le mur.
TAZ : La police française ?
Suder : Oui, la police française
TAZ : Pas d’Allemand avec eux ?
Suder : Non, c’est seulement plus tard, au commissariat, chez les flics, là il y avait aussi des Allemands. Certes, ils ne se sont pas montrés, mais on les entendait parler entre eux.
TAZ : Pour vous, c’est important de dire les « flics » ?
Suder (elle rit) : Non, on peut dire aussi la police.
TAZ : En 2000, pensiez- vous que vous puissiez être arrêtés ?
Suder: Non, pas à ce moment-là en particulier. Même si tu as une conception de la vie qui fait que tu sais que cela peut arriver à tout moment. En fait, on ne sait jamais, ce qui est en train de se passer. Alors on s’y attend toujours.
TAZ : Il n’y avait donc pas d’éléments concrets que vous auriez remarqués ?
Non, bien qu’ils devaient nous surveiller déjà depuis un certain temps.
TAZ : Savez-vous comment on a pu vous retrouver après 22 ans ?
Suder: Non, ce n’est pas clair. Nous avons rencontré à cette époque une parente, peut-être l’ont-ils suivie.
TAZ : Pensez vous que vous avez été activement recherchés tout ce temps ?
Suder: Non, je ne crois pas. Jusqu’au témoignage de Klein en 1998/99 ; nous n’étions même pas dans le fichier de recherche européen, cela a dû changer après.
Hans-Joachim Klein a participé à la prise d’otage de l’OPEP en 1975 à Vienne. Il s’est distancié par la suite du terrorisme et a été découvert en France seulement en 1998. Après son arrestation, il affirmait pour la première fois en 1999, que Sonja Suder pourrait avoir participé à la logistique de la prise d’otage de l’OPEP.
TAZ : Jusqu’en 1999, il n’y avait aucun mandat international ?
Suder: Non, d’après nos avocats. C’est certainement pourquoi on ne nous a pas embêtés avant.
TAZ : M. Gauger, vous restez très en retrait. Vous ne voulez pas participer vraiment à notre conversation?
Gauger : Il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens pas personnellement. J’ai eu une attaque et je suis resté dans le coma.
C’était quand ?
Suder : 1997
Gauger : J’ai eu un arrêt du coeur, j’étais pratiquement mort. Sonja m’a ramené à la vie (arrêt du cœur, avec les conséquences que cela entraîne sur le fonctionnement du cerveau et la mémoire, comme l’attestent les certificats médicaux français)
TAZ : Votre fausse identité était-elle si bonne que vous avez pu prétendre à des soins médicaux ?
Il fallait bien ! Ne serait-ce que pour les contrôles et les médicaments. La « rééducation », je l’ai assurée toute seule avec lui, c’était une situation absurde.
TAZ : Et vous n’avez pas été découverts?
Non, “parfois on a eu peur”, mais avec des gens de notre âge, les gens sont moins méfiants.
Gauger : J’avais complètement perdu la mémoire.
TAZ : Mais Sonja Suder, vous l’avez reconnue?
Suder : Ce qui m’a beaucoup étonnée, je dois dire.
Gauger : Mais avant, je savais pas qu’elle existait, c’est seulement quand elle est rentrée dans la chambre que je l’ai reconnue.
TAZ : Que ressent-on quand on a tout oublié, que l’on vit dans la clandestinité, que l’on ne peut faire confiance qu’à une seule personne, qui vous apprend qui vous êtes ?
Gauger : À un moment est apparue la peur. Oh merde, qu’est ce qui va se passer si jamais je reste idiot? Mais lorsque cette crainte est apparue, c’est aussi le moment où je me suis aperçu que je recommençais à penser par moi-même. Cela a duré un certain temps.
TAZ : Sonja a dû aussi vous expliquer pourquoi vous viviez dans la clandestinité ?
Gauger : Oui, mais je ne sais pas si elle m’a tout raconté. Ça je ne le sais pas.
Suder : Ce n’est pas possible, tu ne peux pas raconter toute une vie. Quand on t’interroge, et en travaillant avec certains livres sur la rééducation, tu peux re-raconter, mais en aucun cas on ne doit surcharger la tête d’informations. Cela revient petit à petit.
TAZ : Entre 1997 et 2000, entre l’arrêt cardiaque et l’arrestation, il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps.
Suder : Non, mais son état s’était déjà stabilisé. Le moment dont il parlait tout à l’heure, c’était après un an et demi de rééducation. Mais jusqu’à aujourd’hui, Christian me demande des choses sur son passé. Et nous continuons de fait la rééducation.
TAZ : Vous avez été séparés juste après l’arrestation ?
Suder : oui, tout de suite.
TAZ : Vous avez encore de la famille en Allemagne ?
Suder : Oui, nous avons tous les deux des contacts avec nos soeurs.
TAZ : M. Gauger, alors aujourd’hui vous pouvez vérifier vous-même si ce que Mme Suder vous a raconté, est exact ?
Gauger : Oui ,en tout cas, c’est devenu plus facile.
TAZ : Quelle a été votre attitude pendant les interrogatoires après votre arrestation ?
Suder : Quand tu t’es mis d’accord auparavant : “S’il se passe quelque chose, pas un mot, pas une déclaration” tu te sens très sûre de toi.
TAZ : Lors de la première procédure 2000/2001, combien de temps êtes-vous restés en préventive ?
Suder : Pas tout à fait trois mois. Christian était à Paris, la prison des femmes était en dehors.
TAZ : Ce fut votre premier séjour en prison ?
Suder : Oui, j’étais à la fin de la soixantaine, Christian au début.
TAZ : Comment cela s’est passé en prison ?
Suder : On dit que les prisons françaises sont les pires du monde. Mais, moi, je ne peux pas dire ça. Je suis arrivée dans une cellule et j’ai eu le droit à la promenade normale. J'ai tout de suite rencontré des détenues basques. A partir de ce moment, tout s’est organisé de soi-même pour que j’aie ce dont j’avais besoin, évidemment cela se passait sous le manteau. J’ai donc été un peu privilégiée. Cette solidarité m’a fascinée.
TAZ : Qu’est ce qui était le plus dur en prison ?
Suder : Le bruit. Toutes les entrées sont fermées par des portes en fer, ouvertes et claquées en permanence. C’est un bruit continuel. Un bruit incroyable. L’enfermement en lui-même n’était pas le pire pour moi, on s’y prépare un peu à l’avance. Tu dois tout de suite réfléchir à ce que tu peux faire. Du sport, lire.
TAZ : Et vous M.Gauger, comment cela s’est-il passé pour vous ?
À la promenade, il y a tout de suite un type qui est venu me trouver, il savait déjà qui j’étais. Alors, avec lui et un autre gars, on se retrouvait toujours ensemble en promenade. En cellule, on était trois. Ce qui m’était désagréable, c’était les lits superposés. Au troisième, c’est déjà vachement haut, tu peux être pris de vertiges. Sinon : les souris et les blattes, mais ça, ce sont des animaux domestiques. C’est de toutes façons bien mieux qu’une cellule blanche, tout seul, où tu n’entends ni ne voit personne.
TAZ : Qu’est ce qu’on ressent quand on est arrêté après 20 ans de cavale ?
Suder : Cette fois-ci, ça y est, ils nous ont eus.
Gauger : Moi je me suis dis : ce n’est pas nécessaire.
TAZ : Savez-vous exactement ce qui vous est reproché ?
Suder : Trois attentats, deux contre le programme nucléaire du régime d’apartheid qui régnait à l’époque en Afrique du Sud, un contre les programmes de rénovation de la ville d’Heidelberg. Et pour moi, Vienne en plus. L’histoire de l’OPEP, avec cette histoire d’accusation de complicité de meurtre. En France, ces faits aussi seraient prescrits. Les seuls faits non prescrits ici sont les crimes contre l’humanité.
TAZ : Avez-vous été surprise par l’accusation de participation à Vienne ?
Suder: oui
1975
L’arrestation de Klein en 1998, comme ses affirmations quant à la participation de Suder sont une surprise totale. En Décembre 1975, Klein a dirigé un commando, responsable de la mort de trois personnes à Vienne, sous la direction de Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous le nom de Carlos. Lors de l’action, Klein, lui-même blessé, et d’autres membres du commando réussirent à prendre la fuite avec des ministres de l’OPEP comme otages. En 1976, un commando germano-palestinien détourne ensuite un avion d’Air France sur Entebbe, au cours de l’opération Wilfried Böse et Brigitte Kuhlmann, considérés comme les chefs historiques des Cellules Communistes, sont tués. Après cette mort, les Cellules Révolutionnaires se reforment et s’éloignent des groupes du Moyen-Orient et des méthodes de Carlos. Ils critiquent l’anti-américanisme et l’anti-sionisme de « la gauche anti-impérialiste », et préconisent des attentats qui ne provoquent pas de victimes.
Sur requête pour complément d’information, le Parquet de Francfort confirme aujourd’hui, qu’avant 1999 et mis à part les déclarations de Klein, il n’y a aucun indice permettant de soupçonner que Suder aurait appartenu aux RZ dans cette première phase et jusqu’en 1976.
Klein - dont la crédibilité est souvent comparée à celle de Peter-Jürgen Boock, ex-membre de la RAF et notoire « raconteur d’histoires » - a accusé en 1999, des membres des Cellules révolutionnaires ainsi que d’autres personnes d’avoir participé à l’attaque contre l’OPEP., Rudolf Schindler comparaissait déjà pour cette raison en 2001 devant le tribunal de grande instance de Francfort. Il a été acquitté de l’accusation de participation à la prise d’otages de Vienne, malgré les déclarations de Klein. La Cour mettant en doute « les certitudes de Klein suite à la présentation des photos d’identité judiciaire le 2.9.1999 ». En effet, celui-ci accusait Schindler mais également Suder bien « qu’auparavant il n’ait jamais mentionné la présence d’une autre femme » déclarait le Tribunal en 2001. Aujourd’hui encore, en dehors des affirmations de Klein, la justice ne possède aucun autre fait contre Suder dans l’affaire de l’OPEP.
TAZ : Durant toutes ces années, les faits concernant les années 70, étaient-ils toujours présents, alors que cela devenait une phase toujours plus éloignée de votre vie ? Pouviez-vous vivre une vie normale ?
Suder : Au début non. Tu regardes toujours si tu as quelqu’un derrière toi, si tu entends parler allemand.
Gauger : Pas de contact avec des Allemands, c’est important.
TAZ : Mme Suder, M. Gauger vous êtes-vous déjà posé la question pendant toutes ces années : l’histoire est si ancienne, est-ce que cela a encore un sens, rentrons et affrontons le passé ?
Suder : Moi, non. Et toi Christian?
Gauger : Si, s’ils avaient levé les mandats d’arrêt.
Suder : Très drôle. Mais maintenant, si la France devait décider de donner suite à la demande d’extradition, nous devrons affronter le procès en Allemagne..
TAZ : Le groupe dont vous êtes accusés d’avoir fait partie s’est dissout définitivement au début des années 90. Cela a-t-il eufinalement un impact quelconque sur la procédure ?
Suder : Juridiquement aucun. Après la nouvelle jurisprudence européenne en 2007, nous avons été arrêtés une seconde fois en France. Christian pendant 14 jours, moi pendant un mois. Depuis 2007, nous devons compter avec une extradition possible à tout moment bien que la France l’ait refusée en 2001.
TAZ : Après votre arrestation en 2000 puis le rejet de la demande d’extradition, vous viviez pour la première fois légalement à Paris. Comment ça a été pour vous ?
Suder : Quand tu vis en permanence en ayant dû te forger « une nouvelle histoire», tu peux difficilement construire des amitiés. Nous avons vécu toutes ces années plutôt retirés. À Paris, au début nous n’avions aucun contact. Notre avocate nous a présenté un camarade italien, afin que nous puissions au moins donner une adresse pour pouvoir sortir de prison. Puis une femme très gentille s’est occupée de nous. Je crois qu’en Allemagne tout aurait été un peu plus difficile. La culture républicaine en France a une tradition plusieurs fois centenaire d’accueil des exilés. Des gens que nous ne connaissions pas sont partis dans le sud de la France et nous ont laissé leur maison et nous avons pu commencer à chercher notre propre maison à Paris. Ils ne nous connaissaient pas, pas plus que notre histoire, mais ils nous ont tout simplement aidés. Nous nous sommes vite intégrés à la communauté italienne des exilés des années 70, à leurs discussions comme à leurs fêtes. Ils sont très solidaires. Nous avons eu beaucoup de chance.
De Francfort à Paris
1. Clandestins : Durant l’été 1978, à Francfort, Sonja Suder et Christian Gauger se rendent compte qu’ils sont suivis. Ils partent à l’étranger sous une fausse identité. Ils ont probablement vécu en France, en dernier lieu à Lille, dans le Nord de la France. En 1997, Gauger fait un infarctus et perd la mémoire, y compris celle de sa fausse identité.
2. Retrouvés : en 2000, ils sont découverts et arrêtés devant un hôtel à Paris. Séparés, ils passent quelques mois en détention préventive. Depuis, Suder, 77 ans et Gauger, 68 ans, vivent à Paris légalement. L’Allemagne demande leur extradition à la France, en vain jusqu’à maintenant.
3. Inculpés : Le couple est accusé aujourd’hui, par le Procureur de Francfort sur le Main, d’avoir participé en 1977, à des attentats contre des entreprises ainsi qu’à celui contre le château de Heidelberg en 1978. Suder quant à elle, est également accusée de complicité de meurtre, lors de l’attaque de la conférence de l’OPEP en 1975 à Vienne, où trois personnes ont trouvé la mort. Cette dernière accusation repose sur les seules déclarations de l’ex-terroriste Hans-Joachim Klein.